Hello les acteurs de changement,
C’est Matthieu de Redessiner le monde !
Jusqu’ici c’était l’échauffement. J’affinais mes stylos 🖍️.
On passe aux choses sérieuses.
Avec LE sujet le plus important pour moi pour comprendre l’époque et guider nos actions. J’ai nommé : la question des paradigmes.
Introduction 👋
Est-on en train de vivre une grande bascule de la société ? Ou pas du tout ? Quel rôle jouer dans ce contexte ?
C’est ce que nous allons explorer dans cet article, en nous appuyant sur le concept de changement de paradigme.
Le terme est utilisé aujourd’hui à toutes les sauces (en entreprise, en politique), il est rentré dans la novlangue, mais de quoi parle-t-on vraiment ?
Sujet éminemment costaud, newsletter plus longue que les précédentes, mais j’ai tout fait pour que ce qui suive se lise comme du petit lait 🥛.
C’est parti ?
Au programme :
Comprendre les changements de paradigme
Analyse : où en est-on aujourd’hui ?
Qu’en retenir pour l’action ?
1. Comprendre les changements de paradigme 👁️
Changement de paradigme, kézako ?
Revenons aux sources.
Le terme “changement de paradigme” a été inventé par Thomas Kuhn, historien et philosophe des sciences, qui a enseigné dans les universités de Berkeley, Princetown et au MIT. C'est l'un des concepts centraux de son ouvrage majeur La structure des révolutions scientifiques publié en 1962. J’ai été fasciné par ce livre et sa modernité pour analyser notre époque.
Je m’appuie aussi sur les travaux de Donella Meadows, experte en pensée systémique, pour qui agir sur les paradigmes est le point de levier le plus puissant - et le plus difficile (cf mon post sur les points de levier pour transformer un système).
Un paradigme est une façon de penser le monde.
Pour Thomas Kuhn, "les paradigmes sont des découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à une communauté de chercheurs des problèmes types et des solutions."
“Kuhn utilise la notion de paradigme dans le cadre des sciences, mais on peut l’étendre beaucoup plus largement : un paradigme est le cadre de réflexions et de pratiques d’une communauté à une époque donnée”, écrit Jean-Pierre Luminet, astrophysicien et écrivain français, dans la préface de la version française du livre.
Un paradigme rassemble les croyances, manières de voir le monde, façons de faire à un temps donné. Cela constitue un tout parfaitement cohérent, qui nous aide à agir au quotidien. On baigne tellement dedans que l’on ne s’en rend plus compte.
Par conséquent, un changement de paradigme est une modification profonde de la façon de penser et d’agir à un moment donné.
Concrètement ?
Thomas Kuhn donne plusieurs exemples dans son ouvrage :
En astronomie : le passage de l’astronomie de Ptolémée (la Terre est au centre de l’Univers) à l'astronomie de Copernic (le Soleil est au centre de l’Univers, et les autres planètes, dont la Terre, tournent autour du Soleil) en 1543.
En chimie : la théorie du phlogistique (les matériaux combustibles contiennent du phlogistique, une substance qui est libérée par la combustion) est remplacée par la théorie de Lavoisier (la combustion nécessite de l'oxygène), donnant naissance à une révolution chimique en 1783.
En physique : la physique d'Aristote (les objets matériels ont des natures essentielles qui déterminent leur comportement) cède sa place à la physique de Galilée et de Newton avec la théorie de la gravité (le comportement des objets matériels est régi par les lois de la nature).
Puis la physique newtonienne (qui tient le temps et l'espace pour être les mêmes partout, pour tous les observateurs) cède sa place à la physique einsteinienne et la théorie de la relativité (qui tient le temps et l'espace pour être relatifs au cadre de référence de l'observateur).
L’impact d’un changement de paradigme
Pourquoi est-ce si important ?
Parce qu’après un changement de paradigme, tout change, sans que rien n’ait véritablement changé.
🤔
Thomas Kuhn écrit :
"L'historien des sciences peut être tenté de s'écrier que, quand les paradigmes changent, le monde lui-même change avec eux."
"Guidés par un nouveau paradigme, les savants adoptent de nouveaux instruments et leurs regards s'orientent dans une direction nouvelle.”
"C'est un peu comme si le groupe de spécialistes était transporté soudain sur une autre planète où les objets familiers apparaissent sous une lumière différente et en compagnie d'autres objets inconnus. Bien entendu, il ne se produit rien de tel : il n'y a pas de déplacement géographique ; à l'extérieur du laboratoire, les affaires quotidiennes suivent leur cours habituel."
"Bien que le monde ne change pas après un changement de paradigme, l'homme de science travaille désormais dans un monde différent."
Avant Copernic, la Terre est au centre de l’Univers.
Après Copernic, le Soleil est au centre de l’Univers, la Terre tourne autour du Soleil.
D’un coup d’un seul, la vision du monde change.
Et un changement de vision du monde a un impact direct sur le monde.
Voici une magnifique phrase de Ralph Waldo Emerson montrant comment notre pensée crée notre réalité :
“Chaque Nation et chaque Homme s'entourent instantanément d'un appareil matériel qui correspond exactement à son état moral ou à son état de pensée… Il s'ensuit, bien sûr, que le moindre élargissement des idées… provoquerait les changements les plus frappants des choses extérieures.” — Ralph Waldo Emerson
Les Égyptiens construisaient des pyramides car ils croyaient à la vie après la mort. Nous construisons des gratte-ciels car nous croyons que l’espace dans les villes est extrêmement précieux. Nos actions reflètent nos représentations du monde.
Le processus de changement de paradigme
Concrètement, comment cela marche pour passer d’un paradigme à un autre ?
En 4 étapes, a analysé Thomas Kuhn :
Science normale 👌
Le travail scientifique s’effectue dans le cadre d’un paradigme dominant. Cela définit ce qu'il est possible et rationnel de faire, donnant aux scientifiques un ensemble d'outils pour aborder certains problèmes.
Le travail scientifique est un travail d'ajustement et de précision du paradigme : "C'est à des opérations de nettoyage que se consacrent la plupart des scientifiques durant toute leur carrière. Elles constituent ce que j'appelle la science normale" écrit Thomas Kuhn.
Prenons un exemple fil rouge pour illustrer ces étapes : avant les années 1770 règne la théorie du phlogistique en chimie des gaz. C’est-à-dire que l’on pensait qu’une substance invisible - le phlogistique - s’échappait lorsque des objets brûlaient.
Anomalies 🤔
Progressivement des anomalies apparaissent, c'est-à-dire des faits qui ne vérifient pas la théorie initiale. “La découverte commence avec la conscience d’une anomalie, c’est-à-dire l’impression que la nature, d’une manière ou d’une autre, contredit les résultats attendus dans le cadre du paradigme qui gouverne la science normale”, écrit Thomas Kuhn.
Ces énigmes mènent à une crise de la discipline scientifique. Il y a le sentiment que “quelque chose ne va pas”.
Années 1770. L’oxygène est “découvert”. Comment se fait-il ? Cela ne colle pas avec la théorie du phlogistique. Il y a un truc qui cloche, il faut comprendre quoi.
Recherche extraordinaire 😬
Une crise naît chez les scientifiques. Sans les structures du paradigme dominant sur lesquelles s'appuyer, des chercheurs s’engagent dans ce que Kuhn appelle la "recherche extraordinaire" et produisent de nouvelles expériences et théories pour expliquer les anomalies.
Cette étape est extrêmement importante. Kuhn la décrit comme suit : "La prolifération des variantes concurrentes du paradigme, le fait d'être disposé à essayer n'importe quoi, l'expression d'un mécontentement manifeste, le recours à la philosophie et à des discussions sur les fondements théoriques, tous ces signes sont autant de symptômes d'un passage de la recherche normale à la recherche extraordinaire." (!)
De nombreuses expérimentations sont menées pendant des années, notamment par un savant anglais, Priestley, ou encore le chimiste français Lavoisier.
Adoption d'un nouveau paradigme 💫
Puis un changement de paradigme peut se produire - ou non. "Le passage au nouveau paradigme est une révolution scientifique."
Il y a changement de paradigme si l’adhésion au nouveau dépasse la résistance de la part des chercheurs de l’ancien. “Au début, un nouveau candidat au titre de paradigme n'a parfois que quelques partisans et dont les motifs peuvent même être suspects. Néanmoins, s'ils sont compétents, ils l'amélioreront (...) Graduellement, le nombre d'expériences, d'instruments, d'articles et de livres fondés sur ce paradigme se multipliera. D'autres savants encore, convaincus de la fécondité de ces nouvelles vues, se rallieront à cette nouvelle manière de pratiquer la science normale, jusqu'à ce qu'il ne reste plus, finalement, que quelques vieux irréductibles.”
“Les discussions sur les paradigmes posent toujours finalement la question : “Quels problèmes est-il plus important d'avoir résolu ?”"
À la longue, le nouveau paradigme s'institutionnalise comme dominant. De nouveaux manuels sont écrits, obscurcissant le processus de révolution scientifique. Les chercheurs n’ont pas à tout reconstruire, ils peuvent commencer leurs recherches “là où s’arrête le manuel”.
Antoine Lavoisier aboutit à la théorie de la combustion par l’oxygène. Celle-ci s’est imposée et a été la clé de voûte d’un changement profond dans la conception de la chimie, aujourd’hui appelé révolution chimique.
Autres éléments clés à avoir en tête
Je ne peux pas résister à vous partager aussi ces clés de lecture :
De paradigme dominant à doxa
L’écueil d’un paradigme est de se transformer en vérité absolue.
"Plus le paradigme s'installe, moins il est soumis à un examen rigoureux. Et le consensus finit par le transformer en doxa - ce qui est contraire à l'idée de l'évolution et du progrès des sciences. C’est pour cela qu’il y a si peu de révolutions scientifiques : les paradigmes se laissent difficilement bouleverser", écrit Jean-Pierre Luminet.
De la difficulté de changer des paradigmes
Pour Donella Meadows, il faut distinguer les changements de paradigme chez les individus de ceux des sociétés entières :
"Il n’y a rien de nécessairement physique, ni coûteux, ni même lent dans le processus de changement de paradigme. Chez un individu, cela peut se produire en une milliseconde. Il suffit d’un déclic dans l’esprit, d’une nouvelle façon de voir les choses.” Rassurant !
“Les sociétés entières sont une autre affaire. Elles résistent plus fort au changement de leur paradigme qu’à toute autre chose. Les réponses sociétales à des critiques de paradigme ont mené à des crucifixions, des bûchers, des camps de concentration et à l’arsenal nucléaire.” (!)
De l’importance du contexte
Le contexte extérieur est décisif. Les conditions politiques, philosophiques, religieuses, jouent beaucoup.
Au IIIe siècle avant J-C, Aristarque de Samos (l’astronome, pas le fromage) pressentait déjà que le Soleil était au centre du système solaire et que la Terre tournait autour de lui. Mais c'est prématuré : il est accusé d'impiété et largement critiqué. Ce n'est pas le bon moment : c'est une tentative de changement de paradigme qui n'aboutit pas. "Il faudra attendre Copernic pour que le grand changement de paradigme se réalise."
De l’importance des “outsiders”
Il est plus facile de penser quelque chose de très différent lorsque l’on n’est pas dedans :
"Presque toujours, les Hommes qui ont réalisé les inventions fondamentales d'un nouveau paradigme étaient soit très jeunes, soit tout nouveaux venus dans la spécialité dont ils ont changé le paradigme."
Max Planck, dans son Autobiographie scientifique, écrit lui : “Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas en convaincant les opposants et en leur faisant entrevoir la lumière, mais plutôt parce que ses opposants mourront un jour et qu'une nouvelle génération, familiarisée avec elle, paraîtra." (!)
De l’importance des passeurs
On retient quelques noms célèbres passés à la postérité, mais certains passeurs, restés dans l’ombre, ont joué un rôle absolument essentiel. Sans eux, pas de révolution scientifique.
Pour Copernic par exemple, le passeur se nomme Rheticus. C'est grâce à lui que Copernic s'est enfin décidé à diffuser ses travaux à la fin de sa vie, alors qu'il travaillait depuis trente ans sans oser écrire le moindre traité. Rheticus a en effet écrit le premier livre d'astronomie copernicienne - Copernic détestant la controverse. Comme il a été bien reçu, Copernic a été rassuré et a finalement publié le sien 3 ans après. Avec l’impact que l’on connait. Belle passe dé, Rheticus.
2. Analyse : où en est-on aujourd’hui ? 🔍
Où je veux en venir ?
Au fait que, selon moi, nous vivons en ce moment un potentiel changement de paradigme. Et que tous les éléments qui précèdent nous permettent de mieux comprendre où nous en sommes.
Le paradigme actuel
Notre paradigme économique actuel est celui de l’économie de marché néolibérale financiarisée et mondialisée. C’est le paradigme qui guide les grandes décisions économiques, politiques, sociales. Le monde est vu à travers ces lunettes.
Je tente ici d’en décrire rapidement quelques caractéristiques :
Finalité économique : réussir, c’est augmenter la valeur économique
Croissance matérielle : on vise “toujours plus”
Vitesse : “toujours plus vite”
Compétition : “plus vite que le voisin”
Court terme : le tout, dans une quête de résultats à court terme. Jusqu’à être scruté tous les jours si vous êtes côté en bourse
Concentration - Centralisation : pour limiter les coûts, il vaut mieux centraliser
Spécialisation - Vision en silos : pour résoudre des problèmes efficacement, il vaut mieux les traiter les uns après les autres
Linéarité : pour être efficace, il faut optimiser les processus pour aller plus vite
Direct - Visible : ce qui a de la valeur, c’est ce que l’on peut voir
Domination du vivant : ne parle-t-on pas de “ressources naturelles” et même de “ressources humaines” ?
C’est une vision du monde mécaniste, inspirée du monde industriel 🏭
Bien sûr, tout ne fonctionne pas sur ce mode, mais c’est le paradigme actuel largement dominant.
Où en est-on ?
En reprenant les 4 étapes décrites plus haut, je me risque à cette analyse :
Science normale : Le risque d’un paradigme est qu’il se transforme en doxa. Vous vous souvenez du “There is no alternative” de Margaret Thatcher ? There is no alternative ! Si ce n’est pas un symbole de paradigme qui devient doxa…
Anomalies : Ce paradigme nous a apporté un niveau de développement hallucinant (santé, niveau de confort, technologies…), inimaginable jusqu’alors dans l’histoire de l’humanité. Il faut commencer par le reconnaître !
De même qu’il faut reconnaître que très bien réussir avec les règles du jeu actuelles pousse aussi à l’épuisement des ressources naturelles et humaines. Ce paradigme a créé une dynamique de Grande Accélération, qui n’est pas soutenable.
A gauche, nos activités humaines :
Population totale
Population urbaine
PIB mondial
Tourisme international…
Tous ces indicateurs suivent des courbes exponentielles, avec une inflexion autour des années 1950.
A droite, l’évolution du système Terre :
Émissions de CO2
Volumes de pêche marine
Diminution de la forêt tropicale
Recul de la biodiversité…
Tous suivent les mêmes courbes exponentielles, menant au dépassement des limites planétaires. 👉 Voir mon post sur la Grande Accélération.
D’un point de vue social, ce système crée de l’exclusion et des inégalités à mesure qu’il crée de la richesse. La dynamique d’accélération profite aux mieux lotis.
Et cela est moins souvent dit : ce paradigme crée également des immenses défis de santé mentale, une sensation d’accélération du temps, une addiction aux écrans, de l’isolement et une moindre qualité relationnelle…
Recherche extraordinaire : Pour rappel, la crise amène à une prolifération de nouvelles théories et expérimentations. Pour moi, nous en sommes ici.
Il n’y a qu’à voir tous les courants de pensée émergents depuis quelques années : économie sociale et solidaire, entrepreneuriat social, social business, économie circulaire, économie du donut, économie régénérative, perma-entreprise, entreprise contributive, post-croissance, économie symbiotique… qui peut créer une sensation de confusion (et je parle pas de l’inflation des normes ESG et autres référentiels). Ce sont pour moi des signes de “recherche extraordinaire” !
Les projets aussi se multiplient, sur tous les territoires, dans tous les domaines. Il n’y a qu’à voir les innovations soutenues par Ashoka, les projets issus de Ticket for Change, tous ceux mis en lumière dans la newsletter Le Plongeoir (abonne-toi si ce n’est pas déjà le cas !), les entreprises de tous secteurs du Mouvement Impact France ou celles en transformation après avoir participé à la CEC, pour ne citer que ceux-ci.
Cette effervescence est amplifiée par toutes les personnes en quête de sens et d’impact, qui cherchent à consacrer leur vie professionnelle à ces immenses défis.Adoption d'un nouveau paradigme : nous n’y sommes pas encore…
L’enjeu est de passer de cette effervescence à la cristallisation. Des pionniers à la norme. Des expérimentations aux nouvelles règles du jeu.🃏
Vers un nouveau paradigme ?
Personne ne sait précisément à quoi il pourrait ressembler, mais j’ose esquisser quelque chose, avec un mix de signaux faibles et de convictions :
Finalité plus large : réussir, c’est vivre au mieux l’aventure de la vie
Équilibre : on vise le “mieux”, l’équilibre entre le développement économique, le bien-être social et la préservation des écosystèmes naturels
Coopération : un des enjeux clés est d’apprendre à travailler avec le voisin, étant 8 milliards à être concernés par les mêmes défis planétaires - avec une dose de compétition qui créé de l’émulation et de l’innovation
Long terme : on travaille pour nous mais aussi pour les générations futures
Juste rythme : cela demande d’accélérer parfois, de ralentir parfois
Diversité - Décentralisation : dans ce monde complexe, il est essentiel que les décisions soient prises au plus près de la réalité du terrain, selon des principes communs pour garantir le vivre-ensemble
Vision holistique : dans un système, la valeur est dans les liens entre les éléments du système (éviter la pensée en silo)
Circularité : être efficient, c’est obtenir les résultats avec le moins de déperdition d’énergie et de ressources
Indirect - Invisible : ce qui a de la valeur, c’est ce qui est visible mais aussi ce qui est invisible et nécessaire à la vie. Par exemple, l’air c’est invisible, et pourtant c’est pas tellement inutile. La qualité des relations ou la santé mentale aussi
Connexion avec le vivant : nous, humains, sommes une expression du vivant : nous sommes pleinement dépendants de la santé des écosystèmes naturels
Autrement dit, une vision du monde systémique, prenant en compte la complexité du monde et du vivant 🌳
👉 Vous pouvez contribuer à affiner ces idées en participant à la discussion sur LinkedIn. Merci à toutes les personnes qui y ont contribué !
3. Que retenir pour l’action ? ✌️
Tout ceci peut sembler conceptuel ou vertigineux. Je vais essayer d’atterrir sur du concret.
Quels principes retenir pour l’action ?
Se préparer à naviguer dans l’incertitude
D’abord, se dire que nous sommes probablement entre deux paradigmes. Que l’on arrive au bout d’un système connu, tandis que le nouveau monde n’est pas encore apparu.
Et que dans cet entre deux mondes, il est parfaitement normal de se sentir en manque de repères : ceux-ci sont en transformation.
Il est essentiel dans ce contexte d’apprendre à naviguer dans l’incertitude et de renforcer notre capacité à décider dans la complexité.
Je partagerai du contenu dans les prochains mois autour de ces idées.
Il n’y aura pas de changement de paradigme si nous sommes perdus dans l’entre deux mondes, si nous nous sentons accablés par l’époque et la complexité ambiante. Il est essentiel de nourrir notre capacité d’agir dans ce moment de transition.
Face à l’inconnu, le réflexe peut être de faire “plus de ce que l’on connait déjà” - mais ce n’est que renforcer le mode de pensée à l’origine de nos défis.
Favoriser l’émergence du nouveau monde
Comment changer de paradigme ? Donella Meadows, qui s’appuie elle-même sur les travaux de Thomas Kuhn, nous invite à 4 choses :
“Continuez à pointer les anomalies et les échecs de l'ancien paradigme,
Continuez à parler plus fort et avec assurance du nouveau,
Insérez des personnes avec le nouveau paradigme dans des lieux de visibilité publique et de pouvoir,
Ne perdez pas de temps avec les réactionnaires. Travaillez plutôt avec des agents de changement actifs et avec le vaste groupe des personnes ouvertes d’esprit.”
J’ajouterais :
Être leader aujourd’hui, c’est là où on est, avec ses leviers propres, favoriser l’émergence du nouveau monde, tout en partant de la réalité du quotidien.
C’est préfigurer le nouveau monde. Créer des sources de renouveau. Créer des solutions concrètes qui répondent aux limites du paradigme actuel. Pour inventer une nouvelle réalité attractive, désirable, qui deviendra évidente.
C’est croire fondamentalement que le futur s'influence. En situation de crise, les horizons se rétrécissent pour se concentrer sur le présent et la gestion des défis quotidiens. Or, c'est précisément là que peut s'inventer un avenir différent.
Dans chaque petite décision du quotidien, nous pouvons nous demander :
Quel paradigme suis-je en train de nourrir en choisissant cela ?
En soutenant ce projet, à quoi je contribue ?
En faisant cet achat, qu’est-ce que j’encourage ?
En décidant de cet investissement, qu’est-ce que je soutiens ?
Tout en acceptant la complexité et les paradoxes. Tout ceci nous demande de naviguer entre idéalisme & pragmatisme, en cherchant toujours à faire de notre mieux en fonction de nos possibilités.
Mais si celles et ceux qui le peuvent ne le font pas, qui le fera ?
Être attentif aux principes qui guident nos actions
Trop souvent, on veut faire émerger le nouveau monde avec les manières de penser de l’ancien. Et on voit bien que cela bloque.
"On ne résout pas un problème en utilisant les modes de pensée qui l’ont engendré" nous a pourtant prévenus Albert Einstein.
C’est pour cela que la transformation passe avant tout par une transformation personnelle. Sans quoi, nous reproduisons les mêmes schémas avec la croyance que nous amenons du nouveau. Ces déclics passent forcément par l’expérience.
A titre personnel, j’ai pris conscience que je devais trouver de nouvelles approches notamment lors d’un séminaire au Schumacher College en 2017 ; en vivant une marche du temps profond et en découvrant à la fois les courbes de la Grande Accélération lors de la même journée.
Christopher Guerin, directeur général de Nexans, raconte dans cette interview passionnante du podcast Ping! comment des retraites ont créé un ancrage pour lui et l’ont aidé dans la transformation de son entreprise.
Fédérer les énergies
Je crois à la nécessité de la complémentarité des approches : nous avons besoins de réinventeurs à la fois hors du système et dans le système (avec plus de liens entre les deux) ; de tous les âges ; sur tous les territoires ; dans tous les domaines.
De fédérer nos énergies plutôt que d’alimenter des “guerres de chapelles” entre des dynamiques qui ont 80% en commun.
Créer le désir
Enfin, je crois que la vision de ce nouveau paradigme n’est pas toujours exprimée de manière suffisamment claire et enthousiasmante. Et sans cela, comment donner envie au plus grand nombre ?
Nous avons besoin de nombreuses expérimentations (que nous avons aujourd’hui), d’innovation pour renforcer les modèles (notamment modèles économiques, car sinon les solutions sont trop fragiles, et ne peuvent pas concerner la majorité de la population), et de mieux les raconter.
C’est cela qui permettra - peut-être - un point de bascule ; ce moment à partir duquel le changement devient soudain.
Conclusion ✍️
Je ne vous prends pas plus de temps, il nous reste un nouveau paradigme à inventer 😊
“On ne change jamais les choses en combattant la réalité existante.
Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rendra inutile l'ancien.”
Buckminster Fuller
L’époque est sacrément complexe, mais je trouve que c’est vraiment passionnant de vivre un moment de “recherche extraordinaire”, et de peut-être collectivement participer à un changement de paradigme.
Et chacun(e) y a son rôle à jouer !
Remerciements 🙏
Je remercie chaleureusement Florian Hoos, qui m’a mis sur la piste de Thomas Kuhn. Lors d’un échange en 2021, où je parlais de changer nos manières de penser, Florian m’a dit : “Il faut que tu regardes Thomas Kuhn. C’est le mec le plus important pour toi. Il parle des paradigmes qui sont dans la science.” (oui j’ai noté précisément cette citation à l’époque).
Références & liens 📑
La structure des révolutions scientifiques, Thomas Kuhn, 1962
Leverage Points: Places to Intervene in a System, Donella Meadows, 1999
Voir aussi le concept de bifurcation développé par Marc Halévy
J’avais aussi envie de faire le lien avec le nouveau roman de Jean-Pierre Goux, Révolution Bleue, qui nous invite au changement de paradigme vers l’Homo Biospheris 🌍
Communauté apprenante 🧑🎤
N’hésitez pas à partager en commentaire comment ces idées résonnent pour vous ; les challenger et les enrichir.
À partager l’article autour de vous, c’est comme cela que ces idées se diffusent !
À vous abonner à la newsletter si l’article vous a été utile.
Me faire un feedback express à la toute fin : combien notez-vous cet article ? Je teste ici un nouveau format. Très preneur de vos retours, merci !
Pour la suite 👋
Je donne des conférences intitulées “Ce que le monde attend des leaders” : on y parle changement de paradigme, et surtout du rôle des leaders et des entreprises dans ce contexte singulier 🎤 J’adore partager sous ce format aussi et j’ai la joie d’avoir reçu des super retours des premières que j’ai données 🙏
Participez à la discussion sur LinkedIn : je partage des réflexions plusieurs fois par semaine.
Merci d’avoir lu jusqu’ici 😊
A très vite pour continuer à redessiner le monde !
Matthieu
Merci Mathieu, c'est excellent. Voilà qui donne à réfléchir. Vous êtes un optimiste et vous pensez que le changement de paradigme nous emmène vers quelque chose de meilleur (la coopération, le travail pour les générations futures, ...). On peut aussi voir des signes contraires (le retour de la guerre en Europe, de la famine, ...). A l'occasion, ça m'intéresserait d'avoir votre avis là-dessus ;)
En 1 post tu as réussi à rassembler et relier beaucoup de concepts qui, pris les uns sans les autres, m’apparaissent comme très philosophiques.
Et surtout, tu as clarifié un sujet extrêmement complexe à appréhender et pour ça, merci 🙏
En te lisant, j’ai repris conscience du chemin sur lequel je m’étais engagée et j’ai repris une dose d’optimisme en me disant que d’autres étaient là aussi et de plus en plus nombreux.
Alors même si je ne vois pas ce « changement de paradigme » de mon vivant, je kiffe d’en voir les prémices et ça m’enthousiasme de me dire que je suis une passeuse !